Détective Conan A l’Appareil

« RIIIIIIIIING ».

Le bruit de ma sonnerie de smartphone me fit sortir de ma lecture. L’écran s’alluma au coin de ma vision, et mon rythme cardiaque grimpa en flèche. Je senti ma respiration accélérer, ma température augmenter, même ma transpiration se mis en marche. Ais-je une phobie au téléphone ? Non. Dans ma jeunesse, si. Je détestais répondre au téléphone, donc je ne décrochais jamais. De toutes façons, ce n’était jamais moi que l’on appelait sur le téléphone fixe, et personne ne m’appelle sur mon GSM. Je téléphone très peu, donc quand mon téléphone retentit, c’est que c’est important.

Cette fois-ci, le stress monta fort, car plus tôt dans la journée, c’est un numéro masqué qui m’appela. En décrochant, après le « allô ? » habituel, j’entendis un rire, assez bref, qui dura une seconde environ. Puis plus rien. « Allô ? », demandais-je encore. Toujours rien. Lorsque ce genre de choses se passent, mon imagination n’a que peu de limites, et je peux imaginer des tas de scénario. Qui est au bout de la ligne ? Est-ce simplement une erreur ? Dans ce cas-ci, pourquoi mon interlocuteur riait-il ? Pourquoi ce long silence ensuite ? Etant dans une situation que je déteste, je raccrochais, et le numéro de n’appela plus par la suite.

La sonnerie dont il était question durant cette soirée d’automne, me fit penser au coup de téléphone étrange de l’après-midi. Serait-ce le même numéro masqué ? Serait-ce un canulard ? Serait-ce un de mes étudiants, qui n’a rien de mieux à faire en plein confinement que faire des blagues à ses profs ?

Je regardai l’écran. Un numéro bruxellois s’afficha. Soit c’était la même personne qu’en après-midi, mais qui utilisait un autre numéro, non masqué, soit c’était une autre personne. Ce dernier cas de figure me paru improbable. Mon téléphone reçoit maximum cinq coups par mois, et ces coups sont toujours de la famille, des amis, ou des appels prévus. Ce n’est que rarement des cas imprévus.

Non pas que j’étais impopulaire. Plus solitaire. Par nature. Réservé. Et je préférais le canal écrit qu’oral.

J’hésitais. Si on m’appelait, cela devait être important. Mais pourquoi un numéro qui n’est pas encore enregistré dans la base de données de mon téléphone ? Ceci arrivait souvent lorsque je proposais mes services pour des cours particuliers, car ma matière, le néerlandais, est fort prisée vu la pénurie de professeurs de néerlandais, et le faible niveau moyen des étudiants francophones. De plus, au vue de la pénurie, on recherchait beaucoup de profs de langues. Sauf que je n’avais plus postulé d’annonces depuis un moment (étant professeur à temps plein dans une école, je ne cherche pas à me rajouter des heures supplémentaires). Il n’y avait donc aucune raison qu’un parent d’élève m’appelle.

Je décidais donc de mettre mon livre sur le côté (l’encyclopédie du savoir relatif et absolu, de B. Werber), et décrochais.

« Allô ?»

« Coucou ! »

Et puis ce fut le silence. Ce silence dura peut-être quelques secondes, pas beaucoup plus. Mais sur le moment, il me paru une éternité.

« Je voulais prendre de tes nouvelles ! ».

Un nouveau silence. Je ne savais pas quoi répondre… La voix ne me disait rien. Certes, une voix au téléphone est différente de la même voix en face à face. Les situations qui comportent des inconnues ont tendance à me stresser, et au téléphone, avec très peu d’informations à ma disposition pour savoir à qui j’avais à faire, c’était encore pire. 

« On se connait ? », demandais-je après quelques secondes, espérant recevoir un nom en échange.

« Quoi, tu ne reconnais pas ma voix ? » Je détestais ce genre de réponse. Si je posais cette question, sa réponse était assez bête, car, visiblement, non, je ne parvenais pas à la reconnaitre. Je recherchais dans la base de données qu’est mon cerveau, où j’aurais pu entendre cette voix. Une voix féminine, dont l’âge était difficile à déterminer. Dans la 20 aine, peut-être plus, mais pas au-delà des 40 ans.

« Non, là comme ça je n’arrive pas à reconnaitre. D’où on se connait ? », demandais-je. Le stress n’était pas redescendu, je sentais ma température toujours élevée, je pense que mon stress pouvait même se sentir dans ma voix.

« M’enfin, sérieux ?? On s’est connus au cours d’anglais. » répondit-elle.

Au fur et à mesure qu’elle parlait, mon cerveau analysait la sémantique de son discours à toute vitesse. Cours d’anglais ? Cela ne m’aidait pas beaucoup. J’avais eu cours d’anglais pendant cinq ans en secondaires, puis trois ans en bachelier, et deux ans en master, car j’avais étudié les langues germaniques (anglais-néerlandais), afin d’être professeur. Il m’était donc difficile d’isoler qui mon interlocuteur pouvait être. Sans compter que, en cas de canulard, cela pouvait même, hypothétiquement (je prends TOUS les scénarios en comptes, même les plus improbables, je suis comme ça) une étudiante que j’aurais eu, dans les écoles où j’ai enseigné, voire même dans les camps de vacances, sociétés, … Cela faisait une dizaine d’années que je donnais cours de langues, et j’ai vu passer un bon nombre d’étudiants. Impossible donc d’isoler quelqu’un avec aucun peu d’information. 

« Actuellement, les cours d’anglais, c’est moi qui les donne. Cela fait quelques années que je n’ai pas été à la place de l’étudiant. Pourrais-tu être plus spécifique ? ». Le stress me gagna alors que je prononçai cette phrase. Je le senti dans mes poumons, ma cage thoracique, ma voix. Cette situation devenait vraiment pénible, et j’avais le pressentiment que cette personne me moquait de moi ».

« J’étais toujours assise au dernier rang. Tu me plaisais beaucoup, et ma culotte était souvent mouillée à cause de ça ».

Mon sang ne fit qu’un tour. Mon rythme cardiaque augmenta encore, ainsi que ma transpiration. Ceci devait être un canulard, c’était obligé. Et si c’était une étudiante qui se payait ma tête, et enregistrait cette conversation pour la faire passer dans toute l’école ? De nos jours les étudiants ont de moins en moins de respect pour leurs enseignants, ce n’est pas comme dans les années 50. Aujourd’hui, le professeur doit instaurer son autorité, faire ses preuves, et à l’ère de la technologie, on ne sait jamais jusqu’où les élèves peuvent aller en utilisant la technologie, certaines photos finissent sur la toile et les réseaux sociaux à l’insu de l’enseignant, et je ne voulais pas risquer d’être lié à quoi que ce soit qui sorte du cadre professionnel.

Et dans le cas où c’était une ancienne camarade de classe, de l’époque (pas encore si lointaine, après tout) où j’étais encore étudiant (que ce soit en secondaire ou dans le supérieur), serait-ce possible qu’il s’agisse d’une fille qui m’avait plu, et qu’elle le savait ? Après tout, sa voix suggérait qu’elle ait le même âge que moi. Cette hypothèse était plausible. Mais dans ce cas, pourquoi me contacter maintenant, des années plus tard, en plein confinement ? Je devais en savoir plus…

« Ce doit être un mauvais numéro, tu te trompes de destinataire, je ne vois absolument pas qui tu pourrais être. Quel est ton nom ? Ce serait plus facile si tu me le disais ! »

« M’enfin, tu ne reconnais pas la voix de Caligula ».

Sur le coup, je ne réfléchissais pas plus que ça et répondis au tac au tac.

« Ce nom ne me dit rien, je ne connais personne qui s’appelle ainsi. Cela doit donc être une erreur ! »

« Franchement tu me déçois. Tu sais on pourrait se voir, tu es dans les environs de Stockel, on n’est pas très loin l’un de l’autre. D’ailleurs je suis devant chez toi… »

Je pausai pour analyser toutes ces nouvelles informations. Concernant son nom, « Caligula », cela me disait quelque chose, d’un point de vue culture générale. Je n’aurais su dire d’où ce nom venait, mais j’étais au moins sûr d’une chose : je ne connaissais pas de Caligula dans mon entourage, je n’avais jamais rencontré quelqu’un avec ce nom.

Second élément, cette personne savait dans quelle zone j’habitais, et dit être devant chez moi. Au moment où je pris connaissance de cela, mon cœur fit un saut encore plus haut. Et si ce n’était pas un canular ? Et si cette personne était garée devant ma maison ?… Comment cette fille aurait-elle appris mon adresse ?? Quelles autres informations aurait-elle me concernant ? Ma peur augmenta encore, et mon rythme cardiaque avec.

« Je ne vais même pas vérifier ça », répondis-je. A vrai dire, regarder dehors me fichait la trouille. Trouille d’être face à une information que je ne voulais pas vérifier. Je voyait ma fenêtre, en face de moi, depuis le lit où j’avais été occupé à lire avant cet appel. Depuis ma place, je ne pouvais pas voir la rue. Ma chambre était à l’étage et il faisait déjà noir. Tout ce que je pouvais voir, c’était le lampadaire de l’autre coté de la rue.

Je sentis mon stress atteindre un niveau record. J’avais l’impression d’être installé à un examen oral déterminant pour ma réussite scolaire. Mon corps étant en panique.

« De toutes façons je suis sûr que c’est un canulard », répondis-je encore.

« Tu ne veux même pas me croire, Guillaume ? ».

J’eus l’impression que mon cœur avait cessé de battre. Tout fonctionnait au ralenti. Le temps s’était arrêté, comme dans les films, où on voit un personnage central qui tombe de la falaise. La chute prend une dizaine de secondes. Ici, mon cerveau analysait les informations si vite que j’eus l’impression que chaque seconde se déroulait en une minute.

Cette personne connaissait mon nom. Ce n’était donc pas un canular, elle savait qui j’étais. Ce n’était pas possible autrement. Si je lui avais demandé mon nom de famille, cela n’aurait pas été beaucoup plus compliqué de me le procurer. Cette personne m’avait sorti de ma quiétude, de ma tranquillité, et cela me déstabilisa. 

C’était la goute de trop qui fit déborder mon vase. Je ne voulais pas en savoir plus, j’avais l’impression que cette personne savait tout de moi, m’avait scanné, aurait pu me raconter ma vie, voire des choses que je ne veux pas voir en dehors de ma tête. Elle savait tout de moi, et moi rien d’elle. J’aurais tout donné pour faire cesser cette discussion. C’en était trop, je raccrochai.

Je restai pétrifié dans mon lit. Mon cœur continua de battre à la chamade. J’étais comme tétanisé. J’avais du mal à reprendre mon souffle et à calmer mon rythme cardiaque. Mes mains étaient moites, mon tshirt plein de transpiration, mon front humide. Je n’osais pas me lever pour regarder par la fenêtre. Je regardai mon écran, et le numéro de téléphone inscrit. +32 2 372 22 42. C’était ce numéro qui m’avait appelé.
D’où diable avait-elle pu trouver mon numéro ?? Je regardai et analysé son numéro avec attention, mais s’il n’était pas dans la mémoire de mon téléphone, il n’y avait aucune chance pour que je la connaissance. Sauf si c’était un numéro que j’aurais déjà supprimé, mais dans ce cas, j’aurais reconnu la voix de la personne. Sa voix ne m’était pas familière… C’était peut-être quelqu’un que je connaissais de loin, mais qui ne m’avait jamais été proche…

Ce coup de téléphone était survenu peu avant 22 heures, heure à laquelle je me couchais afin de me lever tôt le lendemain. Je détestais ne pas suivre cet horaire, car me coucher plus tard signifiait avoir plus de mal à me réveiller, et donc soit être davantage fatigué durant la journée, soit finir par me rendormir, ce qui changerait complètement mon horaire de ma matinée de travail productif. Je devais donc aller me coucher, alors que je n’étais pas du tout en état de trouver le sommeil. Je décidé cependant de mettre mon smartphone en mode avion et d’éteindre la lumière. Avec un peu de chance, Morphée me bercerait néanmoins dans ses bras rapidement.

Les minutes passèrent, et mon cerveau semblait ne pas vouloir arrêter de tourner. Mes axones tournaient à plein régime pour faire passer quantité d’informations via des signaux électriques à travers mes neurones, de synapses en synapses. Mes gaines de myélines, dont le but était de démultiplier la rapidité de transmission de l’information électrique dans les axones, semblaient bien fonctionner, car mon cerveau était en ébullition. Impossible d’arrêter de réfléchir. Je tenté bien de canaliser mes pensées, me concentrer sur mon rythme cardiaque, écouter le bruit des voitures dans la rue, mais cela ne suffit pas. Je ne parvenais pas à trouver le bouton off. Je pensai à toutes les informations que j’avais pu recueillir.

Ce numéro de téléphone était la seule vrai information que j’avais à ma disposition. Si seulement je pouvais la retracer… Savoir de quel endroit il avait été utilisé…. Mon premier réflex fut donc de demander à mon ami : Google !

Ma curiosité était plus forte que ma motivation à tenter en vain de m’endormir, j’allumai ma lumière et mon ordinateur. Ces lumières me firent mal aux yeux, mais ceux-ci finirent par se réhabiter à ce changement de luminosité.

J’inséré le numéro dans mon moteur de recherche, mais rien d’intéressant de s’afficha. Logique. Le numéro indiqué dans les recherches reprenait des chiffres du numéro que j’avais inséré, mais jamais le numéro complet. Cela aurait été trop simple. Je rajoutai donc des guillemets de parts de d’autres du numéro de téléphone. Cette astuce permet de n’indiquer que les recherches qui comprennent scrupuleusement les choses inscrites entre ces guillemets, telles quelles. Mais cela ne m’aida pas plus. Google ne me proposait que des sites permettant de retracer des numéros, mais ces sites n’avaient vraiment pas l’air fiables…. J’essayai avec quelques-uns, mais systématiquement j’arrivai à l’étape du paiement ! Envoyez-nous cinquante centimes, et nous vous enverrons les informations sur votre boite mail… Non merci ! J’étais donc bloqué. Un numéro de téléphone, mais qui ne menait nulle part !

Toute cette histoire m’avait retourné le cerveau. Je décidai, après une vingtaine de minutes de recherches sur Google, de regarder par la fenêtre du hall du premier étage. Ce hall était plongé dans l’obscurité, personne se situant dehors de pourrait alors voir que je suis derrière la fenêtre. Je me rapprochai et regardai de partes et d’autres de la rue. Rien. Bien évidemment. Rien…. Soit la personne avait menti, soit elle était déjà partie.

Je descendis donc pour demander à mes parents s’ils avaient par hasard vu une voiture, ou des phares, devant la maison, par la fenêtre. Je descendis les escaliers, lui aussi plongé dans l’obscurité (l’interrupteur était loin, et le risque de trébucher était faible). Une fois en bas, j’ouvris la porte. Ma mère était assise dans le canapé, en face de la tv, comme à son habitude, un chat installé sur sa poitrine, un autre sur ses genoux. Elle regardait « n’oubliez pas les paroles », une de ses émissions préférées qu’elle suit tous les jours. Elle tourné son regard vers moi, se demandant si je passais en coup de vent ou venais pour discuter, et dans ce cas, elle s’apprêtait toujours à prendre la télécommande pour mettre pause. Et justement, elle vit à ma tête que j’avais quelque chose à partager.

« Est-ce que par hasard vous auriez vu quelqu’un, une voiture, stationnée dans la rue, y’a genre 20 minutes ? »

« Une voiture stationnée dans la rue ? » réexpliqua mon père. Il commençait souvent à répondre à des questions en les récitant à son tour, comme pour être sûr qu’il les avait bien comprises.

« Oui, je viens d’avoir un coup de téléphone bizarre, et mon interlocuteur, dont je ne connais pas l’identité mais qui semble connaitre la mienne, a dit qu’elle était devant la maison, mais j’en doute. »

« Je n’ai pas spécialement fait attention », répondit ma mère. « Des voitures passent souvent, je ne saurais pas te dire. C’était quoi ce coup de téléphone ? »

« Une personne, une femme, m’a appelé me disant me connaitre. Elle sait que j’habite près de Stockel, connait mon nom, et prétend m’avoir connu à un cours d’anglais. Mais cette info ne m’aide pas des masses, vu que j’ai eu 5 ans d’anglais en secondaires et 5 ans à l’université. Elle dit s’appeler Caligula, nom qui ne me dit rien, et prétend… » je fis une pause, vu que l’information était bizarre et difficile à communiquer. « Elle a dit qu’à cette époque, je lui plaisais, et a mentionné quelque chose sur sa culotte… »

Ma mère me regarda étonnée.

« Ah oui ? », répondit-elle, autant étonnée qu’abasourdie.

« Tout ce que j’ai pour essayer de deviner son identité, c’est ce numéro de téléphone », lui dis-je allumant mon écran afin de lui montrer le numéro. « J’ai déjà encodé ça sur internet mais ça n’a rien donné. J’ai pu trouver des sites qui me proposent de tracer ce numéro, mais ces sites sont payants et ne me semblent pas fiables. Donc je suis nulle part ». 

Tout en lui montrant mon écran, je continuai à observer le numéro. + 32 2…. Si je devais le réécrire autrement, cela donnerait 02… soit un numéro de téléphone fixe…

« Je viens de remarquer qu’il s’agit d’un numéro fixe, et non d’un smartphone. Pourquoi quelqu’un m’appellerait avec un fix ? Soit cette personne est encodée dans mon smartphone, elle le sait, et ne veut pas que je sache qui c’est, soit …. Soit rien, en fait, je ne vois aucune autre explication… » pensai-je à voix haute. 

« Il y a un site pour tracer les numéros fixes. C’est pas le 1307 ? » Demanda mon père

« Ça existe encore, ce site ? » Demanda ma mère, dubitative.

« Ça me dit quelque chose, mais je pense n’avoir jamais utilisé ce site », répondis-je. Je vis ma mère noter quelque chose sur son smartphone. En me rapprochant, je vis qu’elle était sur 1307 et notait le numéro de téléphone.

« C’est une certaine Chantal, elle habite à Auderghem », m’annonça-t-elle.

« Ça ne me dit rien. Je ne connais aucune Chantal. Je vais voir si je sais la retrouver sur Facebook ».

Je repris mon smartphone et grimpai dans ma chambre, dans la pénombre. J’allumai mon ordinateur et alla sur Facebook, où je recherchai à nouveau les informations sur 1307. Je retombai sur ce que ma mère avec trouvé. Un prénom, un nom de famille, et une adresse précise. Pratique. Mais je restais en terrain inconnu. Ce nom ne me disait rien. Je l’inscrivis donc sur Facebook.

Je tombai sur un profile de femme, la 50aine peut-être, certainement plus âgée que moi, et sa tête ne me disait absolument rien. Je regardai si je pouvais trouver d’autres informations sur son profile, mais il n’y avait rien. Seules deux nouvelles informations étaient disponibles, via les amis. Nous avions deux amis en commun : une amie, activiste végane, tout comme moi, et une personne, végane également, qui est candidat au parti politique DierAnimal, qui est le seul parti politique animaliste du royaume. Je le connaissais car j’avais moi-même proposé ma candidature pour ce parti, quelques années auparavant. Mais je ne connaissais plus de nom qu’autre chose. C’était un homme, la 40 ou 50aine, probablement. Dure à dire. Je pensais ne jamais lui avoir parlé.

Cette amie végane activiste était donc la seule que je connaissais vraiment. J’avais déjà pris part à des actions de sensibilisations avec elle à plusieurs reprises. Et je pensais qu’elle faisait aussi parti de DierAnimal. Nous avions beaucoup d’amis en commun, car les activistes finissent par former un large réseau. Je devais avoir dans les 100 amis activistes (ou simplement véganes) dans mes amis, à force d’avoir pris part à de nombreuses actions de sensibilisations pacifistes, non seulement dans le royaume, mais également à l’étranger, actions où nous montrons des vidéos de pratiques généralisées dans la plupart des abattoirs, afin de débuter une conversation, uniquement avec les personnes qui montrent de l’intérêt pour le sujet. Aucune discussion n’est imposée à personnes, et ces discussions se font dans la bienveillance. Parfois cela se passe mal, car certaines personnes ont des aprioris et réagissent avec haine et violence verbales. Bien que nous ne montrions aucune violence, nous dénonçons cependant des pratiques que d’autres entretiennent financièrement, et il est naturel qu’ils n’aiment pas que quelqu’un pointe cela du doigt. Dans ce cas, lorsqu’on voit que la personne ne sera pas ouverte à la discussion, on laisse couler, clos le débat et passons à autre chose. Il est inutile de perdre temps et énergie dans des discussions qui n’aboutiront à rien de positif. Heureusement, dans plus de la moitié des cas, les personnes seront intéressées et ouvertes à la discussion. Il n’est cependant pas toujours possible de convaincre une personne à changer le contenu de son assiette, bien que cela ait de très nombreux avantages (sauver d’innombrables vies animales, diminuer considérablement la pollution causée par la production d’animaux, et améliorer sa santé), mais l’objectif est surtout d’avoir une discussion, et d’éventuellement parler de certaines choses que beaucoup ne savent pas. Parfois, on se contente simplement de planter une graine qui germera peut-être plus tard. 

Comment cette amie pouvait-elle connaitre cette femme qui m’avait appelé, cela restait un mystère. Cette femme était peut-être également activiste, bien que ni son nom ni sa tête ne me rappelait une personne que j’aurais déjà rencontré. De toute façon, pourquoi une dame de 50 ans m’aurait-elle appelé pour avoir la discussion que j’avais eu une demie heure auparavant ?

Je décidé, plutôt que d’envoyer un message à cette dame (je ne voulais plus avoir le moindre contact), de contacter mon amie et lui demander si elle savait m’aider. 

« Coucou ! », commençai-je mon message écrit, « dis je vois que tu connais une certaine Chantal. J’ai été appelé par un numéro de téléphone fix, et en recherchant le piste de ce numéro, je suis tombé sur l’adresse de cette Chantal. La personne qui m’a parlé devait avoir dans la 20aine. Sais-tu si cette Chantal a une fille de cet âge ? ».

Je réfléchi encore, et rajouté le message suivant :

« Je penchais à la base à un canulard, car le contenu du message n’avait aucun sens (la personne prétend me connaitre, mais selon moi c’est impossible) ».

J’attendais que les secondes passent. Elle s’était connectée il y a peu de temps, avec un peu de chance elle me répondrait rapidement. Mais le temps passa et je décidé de me coucher. Une fois qu’elle m’aura répondu, j’aurais sûrement plus d’info pour enfin comprendre cette histoire.

Néanmoins, mon cerveau refusa de s’arrêter. Voyons voyons…. J’avais le nom, prénom, et adresse, du numéro de téléphone… Ma piste principale était que la personne qui m’avait appelé vivait sous le même toit que cette Chantal. Sa fille, très probablement. Avec ce confinement, je doute qu’ils aient des invités à la maison, et que cette invitée ait voulu m’appeler depuis ce numéro…

Si c’était bien sa fille, cela veut dire qu’elle porterait le nom de son père, et non de sa mère…Si seulement je connaissais le nom du mari, je pourrais l’écrire sur Facebook et peut-être trouver des gens qui s’appelaient ainsi…. Mais comment trouver le nom du mari d’une femme, uniquement via son Facebook qui ne montre aucune information mise à part les amis en commun et une photo ?…

Je retournai sur le profile de cette dame.

Mais oui ! Elle a indiqué un double nom sur son profile ! Il doit y avoir son nom de jeune fille ET le nom de son mari !

Je m’empressai donc d’écrire chacun des deux noms sur Facebook, simplement le nom de famille, et là, deux profiles se dressèrent : la Chantal, bien-sûr, et mon cerveau eut un bug lorsque je lis le second. Je pris quelques secondes pour que mes neurones fassent tous les liens nécessaires. Je dus bien rester cinq ou dix secondes, immobile, pour comprendre ce qui se passait. Le second prénom était celui de mon ami à qui je venais d’envoyer les deux messages. Et son nom de famille était le premier des deux noms de famille de sa mère. Tout s’éclaircit….

« Attends c’était toi au tell ?? » m’empressai-je de pianoter. Et par un pur hasard, au moment même où j’écrivis ces mots, je vis qu’elle venait de lire mes messages en même temps. Ensuite, des petites bulles apparurent à côté de sa photo, signe de Messenger que la personne est en train d’écrire. Après quelques secondes, ces bulles disparurent. Puis réapparurent. Puis disparurent. Les minutes passèrent. Mais pourquoi avait-elle donc besoin d’aussi longtemps pour écrire un « oui » ou un « non » ??

Le temps que la réponse vînt, je repensa à sa voix. Mais oui ! Je reconnus enfin la voix du téléphone ! Elle avait la même ! Et je ne l’avais même pas reconnu ! Je n’avais plus besoin de sa réponse, j’avais enfin résolu l’énigme. J’avais découvert que c’était bien elle, à l’autre bout du téléphone, et ce uniquement sur base de son numéro de téléphone fix ! Dingue ce qu’on peut découvrir avec internet !

Enfin, un paragraphe apparu dans la discussion. Je m’empressai de le lire :

« Salut, oui j’avoue c’était puéril, j’espère que tu ne m’en veux pas, c’est une amie végan qui avait ton numéro et on a décidé de faire des blagues téléphoniques. »

J’étais sur le cul et répondu du tac au tac.

« Vous avez vraiment rien de mieux à foutre de votre temps ? XD. C’est qui l’amie végane ? »

« Haha si jouer aux cartes. Tu peux déjà être content que je sois honnête 😊 »

« J’avoue que le coup de tel m’a fait stresser. J’aime pas ce genre de coup ^^’ »

Tout le stress partit d’un coup. J’étais soulagé. Mon cœur se reposa, j’étais enfin zen.

« Oui je comprends, désolée »

« On sait jamais qui est derrière l’écran, et se faire pirater par un bon hackeur ça peut faire mal lol »

« Le confinement ça fait faire des bêtises »

« Et j’ai eu un coup de tel anonyme plus tôt dans la journée, c’était toi aussi ? »

Le temps qu’elle réponde à ce message, je vis qu’elle n’avait pas répondu à ma question d’avant.

« C’est qui l’amie végane ? »

« Ah ça non plus tôt dans la journée j’étudiais lol »

« Bah c’était peut-être elle. Et du coup c’est qui elle ? »

« Non elle ne s’est pas amusée à faire ça seule. Je ne le dirai pas par respect pour elle, je n’ai pas son accord ».

« C’est facile et petit. Je vois que je dois pas donner mon tel à n’importe qui ».

Entre temps je fis un petit tour sur le profile de mon amie afin de voir quelles amies nous avions en commun, et la liste était longue… Mais tout le monde n’aurait pas participé à ce petit jeu. Mes yeux finirent par s’arrêter sur un nom, une personne qui aurait pu être à l’origine de toute cette histoire…

« Tkt, j’ai ma petite idée. Allé je vais pouvoir me coucher après un casse-tête résolu, bonne soirée 😉 »

« Elle est d’accord que je le dise. » Elle inscrivit le nom dans la conversation. C’était bien ce que j’avais en tête. »

« J’avais deviné, il n’y a pas beaucoup de gens dans nos amies en commun qui avaient le profile lol. » Et sur ce, j’éteignis mon ordinateur et descendis les escaliers. Ma mère était toujours dans le salon, devant la télé. Elle me regarda et afficha un regard demandant si j’avais des nouvelles.

« J’ai réussi à trouver l’identité de mon interlocutrice », et je lui contai mes réflexions et la conversation Messenger que je venais d’avoir. »

J’allais également informer mon père, qui s’apprêtait, lui aussi à aller se coucher. Je retournai dans ma chambre, éteignit la lumière, et jeta un dernier coup d’œil à mon téléphone. 22h30. Cette histoire m’avait fait perdre près de trois quart d’heures de sommeil, mais au moins, dorénavant, j’avais une histoire pleine de suspens à raconter en stock !