L’Avion Est Dans La Boîte De Schrodinger

Pendant une trentaine de minutes, nous avons eu l’impression d’être Schrodinger observant la boite contenant son chat à moitié mort. Ces trente minutes ont commencé vers 5h35 du matin.

«  Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on prendrait un taxi ? » demanda ma sœur.

«  On peut toujours prendre la voiture des parents, les clefs doivent être quelque part, ils les laissent toujours pour le cas où », lui répondis-je.

«  Oui mais le temps de rentrer, trouver les clefs, se mettre en route, se garer à l’aéroport, ça va être trop juste. On a jusqu’à 6h20, cela nous laisse encore 45 minutes pour atteindre le check-in … »

« Je crains que l’aventure ne se termine avant même d’avoir commencé… », dis-je

« C’était risqué de compter sur le bus. La prochaine fois, on prendra un Uber, un taxi ou on ira nous-même en voiture. »

« L’app ne nous apprend toujours rien de neuf, aucune indication sur le bus de 5h23, mais je vois que le suivant, à 5h53, passe bien. Le Realtime semble activé », dis-je en consultant mon smartphone. « On peut se douter que celui de 23 ne viendra plus ».

« C’est trop short si on prend le suivant ? » me demanda-t-elle.

« Eh bien, il passe à 53, il met 16 minutes, donc on arrive à 6h09. Le check-in ferme à 6h20. Donc on aurait 11 minutes, si le bus vient, n’a pas de retard et qu’on trouve le check-in rapidement… » lui dis-je en regardant ce que Google Map prévoyait.

Les minutes furent longue. Le calme n’était coupé que par quelques voitures de certains lève-tôt, ainsi que l’un ou l’autre bus. Le froid, lui, persistait.

« Je commence à geler des pieds. Je savais que j’aurais dû mettre mes autres chaussures. » 

« Tu peux rester à la banque, c’est ouvert h24 », me répondit-elle.

« Oui mais je veux pas risquer de rater le bus, si jamais il se pointe ». 

Le silence se réinstalla. 

« C’est étrange de voir cette ville à cette heure-ci. Personne dans les rues, les magasins fermés. On dirait une ville fantôme. » commentai-je.

« Pourtant cela a bien changé avec les années », répondit elle. « La ville s’est modernisée ».

« Depuis que tu as quitté le cocon familiale, tu veux dire ? »

« Oui, il y a dix ans, il y avait moins de commerces. Cela ne m’étonnerait pas que le terrain du jardin ait pris de la valeur. Ca pourrait être intéressant de le revendre. »

« Les parents ne veulent pas, ils ont des projets pour leurs vieux jours ».

Les minutes passèrent. Il était 5h45. Toujours aucun bus à l’horizon. On guettait les lumières dans une vitrine de magasin de mode au bout de la rue, au virage. Occasionnellement, des camions passèrent et nous donnèrent espoir de par leur silhouette ressemblant à des bus, mais ce n’était qu’une illusion que le sombre de la nuit nous offrait.

« Il sera en retard », dis-je en consultant mon smartphone. « Selon le Realtime, il annonce encore 9 minutes. Il passera à 57. 4 minutes de retard, donc on arriverait pour 6h13 à l’aéroport. Il nous resterait 7 minutes pour atteindre le check-in. Visiblement, il y a une annonce de grève », rajoutai-je en voyant une banderole rouge au-dessus de l’écran. « Une partie du brabant flamand est concernée. » 

« Cela explique notre bus qui n’est jamais arrivé. Bon, qu’est-ce qu’on pourrait faire de mieux la prochaine fois ? » me demanda ma sœur. J’observe sa volonté d’apprendre de ses (dans ce cas-ci, nous) erreurs afin de nous améliorer. C’est une chose qu’on a en commun, probablement lié aux livres que nous lisons en parallèle et des influenceurs que nous suivons tous les deux sur les réseaux sociaux, tels que David Laroche. Personnellement, c’est plutôt Jay Shetty que je suis. Cet ancien moine converti en influenceur metteur en scène est une vrai source d’inspiration, et j’écoute souvent ses podcasts sur le chemin vers le travail quand je suis à vélo. »

« En soit, connaissant De Lijn, il était risqué de rouler avec eux. Ils sont toujours en retard, et la dernière fois que j’ai pris le bus, il est passé sous mon nez. Leur horaire n’est pas fiable. »

« On aurait pu prendre un taxi ou un Uber, ou même prendre la voiture des parents, mais on aurait dû alors la laisser dans le parking et ils auraient dû venir la rechercher demain en rentrant de vacances. »

Je consulte encore l’application De Lijn pour voir dans combien de temps, selon la compagnie de bus flamande, notre bus devait arriver.

« Il est passé à six minutes de retard. J’espère qu’on va pas prendre ce bus pour rentrer à la maison après… » dis-je.

« Peut-être qu’en payant un supplément on pourra prendre le vol suivant. Si on doit annuler l’auberge, ça va encore couter de l’argent. »

« Y’a quelle somme qui n’est pas remboursable, dans le voyage ? »

« Dans les 400 euros. »

« Si on doit annuler le voyage à cause de ce bus qui est pas fichu d’arriver à temps, je porte plainte… »

« Peut-être qu’on pourra faire une réclamation… »

Le bus arriva enfin, à 5h57. J’activai mon e-ticket de bus et monta. Ma sœur suivit et demanda plus d’information au conducteur afin de savoir pourquoi notre bus n’était jamais passé. 

« Le conducteur dit qu’aucun bus n’était censé passer à 5h23. »

« Hein ?? Un bus est indiqué sur l’app de De Lijn, sur Google Map et sur l’horaire papier qu’on a consulté. C’est quoi cette blague ??! »

« L’arrivée à l’aéroport est prévue pour quelle heure ? » Me demanda-elle 

« Attends, je vérifie », dis-je en prenant mon smartphone et en rafraichissant mon app Google Map en fonction de l’heure à laquelle notre bus avait quitté l’arrêt. « Apparemment il mettra toujours 16 minutes. Il est 5h57, donc on devrait arriver pour 6h13, ce qui nous laisse sept minutes. Beaucoup trop juste… Il faut encore arriver à l’écran affichant le numéro du check-in et arriver au check-in en question. 

Pendant les 16 minutes du trajet, et alors que ma sœur envoya un Whatsapp sur le groupe familiale, nous pensames à un plan : Alors que le bus nous déposerait au terminus de l’aéroport de Zaventem, elle prendrait ma valise en plus de la sienne et je courrais vers le check-in pour informer le personnel du problème de bus et qu’on était là.

« Pourquoi c’est toi qui courrait ? »

« Simplement parce que je suis le plus rapide des deux », dis-je. 

« Dans ce cas, prends déjà ma carte d’embarquement et ma carte d’identité », me dit-elle en me les tendant.

Mon regard qui divaguait alors que je rêvassais fut attiré par l’écran du smartphone de ma sœur sont la couleur naturelle bleue est presque hypnotisant pour l’œil humain. Le message qu’elle était en train d’encoder sur son application Whatsapp se rallongeait alors que ses doigts pianotaient l’écran : 

De notre côté l’aventure a déjà commencée et on espère qu’elle ne se terminera pas plus tôt que prévu. Nous devions prendre le 830 à 5h23 pour arriver à l’aéroport à 5h50. Le check in se clôturant à 6h20. Malheureusement dû à une action syndicale nous n’avons pas eu ce bus là et avons dû prendre le suivant

« J’avais un mauvais pressentiment concernant ce voyage. Peut-être que j’avais pressenti, inconsciemment, qu’on raterait l’avion. Je me disais que s’il n’y avait pas ce voyage, ça m’aurait laissé quatre jour pour m’avancer dans mes préparations… »

« Tu as hésité à partir ? »

« Eh bien, je n’aurai pas beaucoup de temps pour préparer mes cours, donc avoir quelques jours à la maison me permettait de préparer tout cela tranquillement, de faire quelques sorties ce weekend. Il y avait des avantages. Mais si je ne partais pas, je ne sais pas quand mes prochaines vacances auraient été… Je ne pars pas si souvent à l’étranger, en dehors des Erasmus que j’ai faits… »

J’observai par la fenêtre le paysage qu’on parcourait. Les minutes passèrent.

« On y est presque. Je le laisse ma valise. »

Je me levai et me plaçai devant la porte de sortie.

« C’est stressant comme situation. C’est comme si l’issue de tout un voyage dépendait de ces quelques minutes » dis-je. « J’ai sept minutes pour trouver et atteindre le check-in », dis-je en regardant l’heure sur mon smartphone. 

« Il n’y a pas beaucoup de trajet à faire. Tu dois juste prendre l’escalator et tu devrais tomber sur l’écran d’affichage. »

« Je verrai bien. En général, c’est bien indiqué. »

Le bus ralenti, mon cœur batta. Mon rythme s’accéléra, je senti le nombre de mes pulsations évoluer de manière inversement proportionnelle avec la vitesse du bus, jusqu’à ce qu’il s’immobilisa. A peine les portent s’ouvrirent que je filai dehors à toute vitesse, tâchant d’atteindre ma vitesse maximale en quelques secondes à peine. Dire que quand j’étais enfant, j’étais un vrai Hussein Bolt….

Dépassant les passants, quitte à en frôler un ou deux, j’arriva dans le bâtiment et regardai les indications, sachant que chaque seconde qui passait diminuait les chances d’avoir cet avion. Après quelques instants de stress, je vis un panneau avec « departures », indiquant le deuxième étage. J’étais au rez-de-chaussée. Je bondis sur l’escalateur et arrivai au second étage. L’écran d’affichage était bien mis en évidence, à quelques mètres à peine. Je trouvai sans peine la ligne qui correspondait au vol Porto, dont le départ était indiqué à 7h05 du matin, soit 50 minutes plus tard. Par chance, le check-in était au comptoir n°1 à 3. 

Je filai vers les premiers comptoirs et, ne prenant pas le temps d’observer davantage, m’adressai à la première personne avec un uniforme et demandai :

« I’m looking for the check-in of the flight to Porto.” 

L’anglais était sorti tout seul. Dans ces lieux internationaux, il vaut mieux employer la lingua franca quand on ne connait pas la langue maternelle de son interlocuteur. Elle me répondit dans un anglais correct mais pas natif, et m’indiquai le second comptoir à ma droite.

« I thought I’d get late, the gate closes at 6:20”

“I’m afraid it’s too late then…” me répondit-elle. Mon Coeur s’emballa instantanément.

“But it’s 6:15, we still have five minutes, right??”

Elle regarda sa montre et répondit : « Oh, indeed ! »

« My sister has our luggages, can I still show my ticket and our ID cards anyway? I’m not sure how long she’ll take and we’re afraid to miss our fligts.” Lui expliquai-je 

“All the people taking a flight need their papers and luggages to hand them over at the check-in. You will have to wait for her”, me répondit-elle. C’est là que le stress qui venait de disparaître trente seconds plus tôt reprit sa course. Pour une poignée de minutes, tous les plans du weekend pourraient être annulés. Heureusement, je pus rapidement apercevoir ma sœur et lui fit un geste pour qu’elle me rejoigne. Je lui expliquai la situation rapidement. En regardant ma montre, il était 6:16. A cet instant, une dame au comptoire nous invita à donner nos papiers.

« 4 minutes ! A 4 minutes près, tout se jouait ! » dis-je à ma sœur.